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PARIS 1937 À 1939

La traversée

Le 25 juin 1937, Éva et Raymonde embarquent sur l'Ascania à destination du Havre où elles accostent le 3 juillet.  À son bord, 22 cadets de l'Académie d'Annapolis, école navale américaine réputée, parmi lesquels il y a  Éric (voir photo) avec qui Raymonde semble beaucoup s'amuser.   Dans les bras du futur officier, elle étrenne sa première robe de soirée achetée avant le départ.

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Tout le long de ce voyage, Raymonde entretiendra une correspondance assidue avec sa grande amie Liliane Savage.  Vous trouverez en annexe des extraits de lettres ou des missives complètes écrites par Raymonde à Liliane.  Dans sa première lettre envoyée de Paris le 7 juillet 1937, Raymonde décrit son arrivée en compagnie de sa mère.


«Nous avons pris un taxi de la gare pour chez Mlle Durieux.  Le taxi nous descend avec le bagage et file.  On sonne.  La porte s'ouvre.  Pas de lumières.  On tâte.  On appelle le concierge.  Rien.  Après peine et misère, on atteint l'escalier.  On monte à quel étage?  On ne s'en souvient plus.  On ri à chaque marche pendant 10 minutes.  On arrive au 2ième.  On sonne.  Pas de réponse.  On monte encore et cette fois Mlle Durieux vient nous répondre  Et nous voilà déjà arrivées!»


Mère et fille sont en territoire connu.  Elles avaient séjourné chez Mlle Durieux en 1933-34. Après quelques jours à Paris au cours desquels Raymonde se promène avec Éric, elles partent pour La Baule où Raymonde s'amusera beaucoup: tennis, bridge, excursions, bains de mer dans une eau plus chaude que Trois-Pistoles.

ci-dessous:  cartes postales envoyées à Liliane Savage fin juillet début août

Mont Saint-Michel - Saint-Malo - Chateau Josselin dans le Morbihan

Une lettre datée du 11 août 1937 nous rappelle un peu le contexte de l'époque avec la guerre civile qui fait rage en Espagne  et la montée du nazisme en Allemagne. 


Voici comment Raymonde décrit son voyage en train de la Bretagne à Bordeaux.  Nous sommes le 5 août, jour d'anniversaire de naissance de sa mère Éva qui l'accompagne toujours. 


« Dans le train de St Malo à Bordeaux, nous étions avec des gens intéressants.  Une très belle Espagnole avec son petit garçon et un jeune Français qui revenait d'un long séjour en Amérique.  L'Espagnole avait été évacuée en France.  Elle retournait dans son pays car sa famille la faisait demander.  Son père venait d'être fusillé par les nationalistes.  Son mari était dans l'aviation; elle n'en avait pas eu de nouvelles depuis trois mois.  Elle avait été infirmière dans un hôpital et dit que du côté des rouges il n'y avait que des Espagnols tandis que de l'autre il y a beaucoup d'étrangers.»  


Raymonde et Éva visitent Bordeaux en taxi sous une chaleur torride puis le lendemain elles remontent dans le train en direction de St-Jean de Luz.  Quelques jours plus tard un autre train les amènera à Pau d'où elles visiteront Lourdes, suivi de Cauterets avec une excursion au Lac de Gaube, «le plus bel endroit que j'ai vu.»


Le lendemain, nous sommes rendus au 17 août, elle fera une excursion à dos d'âne au cirque de Gavarnie.

cartes postales vierges collectionnées par  Raymonde au cours de ses voyages

BIARRITZ

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LAC DE GAUBE

LOURDES

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La légende de Carcassonne

Mercredi 18 août, elles quittent les Pyrénées en route pour Annecy mais manquent le train à Lourdes.  Elles dormiront à Carcassonne avant d'arriver à Annecy le 20 où elles séjournent une semaine avant de repartir pour Chamonix.


«Nous avons repris le train à 6hres pour arriver à 9hres à Carcassonne.  La «cité unique»  est bien intéressante.  Nous avons vu le monument de Dame Carcas.  Le légende veut que ce soit elle qui défendit la ville lorsque Charlemagne l'assiégea.  Voyant qu'elle n'avait plus de vivres et que la ville serait prise, Dame Carcas imagina de tuer un porc et de le jeter par dessus les remparts.  Charlemagne crut qu'elle était alimentée par un passage souterrain et leva le siège.  Dame Carcas fit sonner les cloches et on dit Dame Carcas sonne!»

Le début d'une longue liste de prétendants

Âgée de 16 ans, Raymonde semble consciente de son pouvoir de séduction qu'elle exerce sur de multiples prétendants, que ce soit Éric, l'officier américain rencontré sur le bateau ou un des deux Maurices, Maurice Rinfret qui lui écrit de longues lettres, mais surtout Maurice Gagné («mon premier amour»), un petit cousin (fils de la cousine d'Éva).

Par ailleurs, les lettres de Raymonde à Liliane (tante Liliane disions-nous dans ma famille) sont emplies d'affection et de mots doux envers cette femme qui fut sa plus grande amie, malgré la distance qui les séparera souvent tout au long de leurs vies.  

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Le voyage avec sa mère se poursuivra jusqu'à la fin des vacances scolaires.

«Le Mont-Blanc, trajet splendide!  Lu La Robe de Laine, magnifique conception de l'amour.  Aimer c'est désirer être meilleure.  J'ai confiance dans l'amour absolu.  Papa est près de moi. Ascension de la mer de glace, phénomène extraordinaire.»


Suivront:

  • Évian

  • les lacs Italiens, îles Boromées

  • Milan

  • Aoste, Chianti

  • Retour Chamonix, Évian

  • Lausanne, Genève, Berne

  • Colmar, Strasbourg


avant d'arriver enfin à Paris le 21 septembre.

LA VIE PARISIENNE TRÉPIDANTE

Autant Raymonde s'est promenée de ville en ville durant tout l'été, autant elle cumule les sorties et activités sociales à Paris entre les présences en classe.  Expo, cinéma, opéra, musées, théâtre, coiffeur, parcs, danses, tennis,  etc...

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La pension de Mlle Durieux

Voici comment Raymonde décrit la pension dans une lettre à son amie Liliane.


«Nous sommes dans une pension d'étudiantes tenue par la tante de Marguerite, femme charmante.  On a tout un bloc de rue avec chapelle, salon avec T.S.F. et en bas, salle de lecture et de danse!  Il y a des étudiantes de tous les pays.  Elles ne sont pas encore arrivées.  Ma chambre est à mon goût, petite mais accueillante.  Cheminée avec glace en face de mon lit, le pied et la tête pareils avec traversier à chaque bout; au pied, mon lavabo, à la tête la porte communicante avec maman.  La fenêtre est en face de la porte avec une table devant.  Elle donne sur la rue Madame.  De chaque côté, une petite bibliothèque à rayon.  D'un côté de la cheminée, une armoire à glace et de l'autre un bureau pour mon linge.  Et tu as là une description (j'espère que tu comprendras quelque chose) de la pièce où je suis appelée à vivre pendant un an.  Elle est plus grande que celle du collège.  J'ai l'impression que ce sera très agréable.» 


Les extraits de lettres ci-dessous donnent une idée de son horaire et des cours qu'elle suit.   

Un peu de Blues...

 Si d'habitude dans son journal Raymonde s'en tient aux faits et gestes et aux descriptions de lieux et de personnages, il arrive qu'elle relate ses réflexions ou ses sentiments. Par exemple, vers la fin septembre elle écrit:

 «Je suis à Paris enfin.  J'y suis pour me préparer à faire quelque chose d'utile dans la vie.  Mon grand défaut c'est toujours d'avoir hâte.  Je ne suis jamais satisfaite du présent.»

Souvent enrhumée, elle manque régilièrement des journées d'école.  Vers la fin octobre, grippée, elle est prise d'un coup de cafard.  Ses amis et le Québec lui manquent.  Le 28 octobre, elle écrit:

«Rhume au lit - crise d'ennui - je n'irai pas en ski dans le Nord (Ste-Adèle) cette année.  Papa veut que je devienne une femme accomplie.»


Le 31: «Ça doit être le fun l'Halloween chez nous.  Je suis à Paris pour me préparer à faire quelque chose d'utile.  Il faut que j'en profite.  Je pense trop à Maurice.»


Ci-dessous, un mot qu'elle envoie à Liliane.

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Le 9:  «Ça va mieux.  Tante Évangeline va venir à Paris aussi - si c'était Maurice à la place - je ne pourrais plus vivre!»


Raymonde se ressaisit.  La visite anticipée de sa tante Alice (Le Boutillier, soeur d'Éva) et de tante Évangéline (qui est en fait Évangéline Garneau, cousine d'Éva et d'Alice Le Boutillier) la rendent joyeuse.


Fin novembre, elle écrit: « Ce mois a été complètement perdu.  Il faut que je profite de mon séjour à Paris.  Je passe les plus belles années de ma jeunesse à penser à l'avenir.  Je pense faire venir Liliane.  On discute si on doit aller au chaud ou au froid pendant les vacances.» 


15 décembre: «Je suis heureuse.  Je suis à Paris.  Je n'ai que 16 ans.»

16 décembre: arrivée de tante Évangéline.


Elle note que le 22 décembre elle est allée à la Périgourdine (rôtisserie réputée) avec l'oncle Jules-Arthur (Gagné, époux d'Évangéline Garneau).

photo:  Jules-Arthur Gagné

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VACANCES DE NOËL

Finalement, Raymonde passera les vacances de Noël en Suisse sans Liliane qui ne pourra pas la rejoindre.  Elle sortira beaucoup avec Jean-Jacques Lioté: messes, danses, ping-pong, ski, etc... et un certain Révillon, fils des fourrures Révillon  qu'elle qualifie de «chic type. »  Elle fréquente ce dernier à son retour à Paris  Ils vont au ciné ou se font promener par le chauffeur de monsieur sur les Champs-Élysées. Raymonde sort beaucoup et semble être courtisée par plus d'un jeune homme comme en témoignent les quelques valentins reçus le 14 février.  Elle va souvent au ciné avec Jean-Jacques Lioté ou Révillon ou encore les deux et un autre ami, un certain Hoffmann.  Au théâtre aussi.  Au Bois-de-Boulogne avec JJ Lioté.

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1938

Contexte de guerre

Le 31 janvier, elle écrit: «J'ai hâte à samedi, mon premier Bal.  J'ai peur d'être déçue.  J'ai hâte de me marier.  C'est une chose très grave.  Il faut choisir un fiancé idéal.  Papa, je m'ennuie.»
Raymonde traîne un rhume depuis des mois.  Difficile de savoir si c'est son train de vie qui l'épuise ou si c'est l'hiver parisien qui ne lui convient pas.  Elle ne se sent pas assez bien pour aller au Bal.  Est-ce que la tension montante en Europe l'atteint?  Elle semble peu s'en préoccuper, mais elle en parle dans son journal et dans sa correspondance. Dans son journal elle écrit: «Ça va mal en Autriche et en Allemagne. J'ai peur de la guerre. 
Ci-contre, un paragraphe d'une lettre à Liliane (9 février 1938)

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Sans doute que Raymonde, comme bien des Européens de l'époque, refuse de voir la possibilité d'une guerre et préfère profiter de la vie qui, pour elle, ressemble à un long divertissement.  Par contre, elle n'échappe pas à l'antisémitisme ambiant qui prend des proportions extrêmes en Allemagne.

Voici ce que Raymonde écrit à Liliane en date du 9 février 1938.  « Mercredi je suis allée à la conférence d'André Maurois (ci-contre) sur Chateaubriand.  C'était épatant.  J'aime beaucoup Maurois, il parle simplement et il n'est pas ennuyeux à écouter.  Malgré qu'il soit juif, il a l'air distingué et charmant.»

Que dire!  Une tournure de phrase fâcheuse?  Un sentiment raciste latent?

VOYAGE EN ITALIE

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avril 1938

Le 6 avril, Raymonde part pour l'Italie avec un groupe d'élèves du cours Désir et leur institutrice, Mlle Gazaix.  Elles visiteront plusieurs villes et lieux historiques avant que sa mère, Éva, ne vienne la rejoindre à Naples le 20 avril d'où elles poursuivront le périple à deux jusqu'au retour à Paris début mai.  Parmi les villes qu'elle visitera pendant ce mois d'avril 1938, notons:
Padoue (Giotto) - Venise (St-Marc, Doges, Pont des Soupirs, Murano, Lido...) - Florence (Galerie des Offices, Galerie Pitti, excursion à Fiesole, campagne toscane, excursion à Sienne) - Assise (promenade au clair de lune, ma ville préférée) - Rome (St-Pierre, Colisée, Palatin, Forum Mussolini, Ste-Anselme, Ste Sabine, les Thermes de Caracalla, St-Paul, jardin Doria, excursion à Tivoli, Villa d'Este, jardins villa Adriana, St Philippe de Néri, Palais Farnèse, Panthéon, St Dominique, Ste Marie Majeur, St Jean de Latran, La Scala, Ste Ange, audience avec le Pape Pie XI...) - Naples - Capri - Palerme - Agrigente - Catane - Syracuse - Taormine - Etna couvert de neige - retour à Naples - Amalfi - Pompéi - Sorrente - retour à Rome (chapelle Sixtine...) - Pise - Gènes - Turin

visite d'hitler en Italie

À Rome et à Naples, les préparatifs vont bon train en vue de la visite d'Hitler au début mai.  Voici comment Raymonde décrit l'ambiance en Italie dans une lettre à Liliane. 

«À Naples j'ai été émerveillée une fois de plus de voir avec quelle rapidité les préparatifs avançaient.  L'enthousiasme des Italiens me semble bien artificiel.  Cèst du commandé:  à Rome, le Cours Désir est obligé de mettre la croix gammée à la fenêtre.  C'est très humiliant.  Les fêtes seront féeriques.  Tu sais, qu'ils ont construit une gare en élevant le niveau du terrain pour qu'Hitler ait une belle vue d'ensemble en arrivant.  Les gens qui sont sur son parcours n'ont pas le droit de rester dans leur maison.  C'est te dire qu'ils doutent de la sympathie que les Italiens pourraient avoir pour l'Allemagne.»

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Plusieurs des notes de Raymonde traitent de ses nombreux prétendants ou font référence à l'amour et à l'espoir de trouver un bon mari.  Parfois ses pensées concernent les études et l'importance pédagogique de son séjour en Europe.  Elle résume ainsi son mois d'avril 1938: 

«Le mois a donc passé vite. Ce voyage me profite beaucoup.  J'ai appris bien des choses.  J'ai hâte d'être fiancée, à force de voir tant de nouveaux mariés.  J'ai hâte de revoir Liliane.  On a tant de choses à se dire.  Papa, tu es près de moi pendant ce beau voyage.  J'aurais aimé le faire avec toi pour tout m'expliquer!»


Après ses 17 ans le 4 mai, elle reprend sa vie sociale parisienne, fréquentant encore une panoplie de prétendants.  La saveur du jour, un certain Michel.  Sa tante Alice est toujours à Paris, «une deuxième mère.» 

«Je voudrais donc rencontrer un jeune homme parfait. Je suis fatiguée de tous ces amis que je ne dois pas aimer.  Toujours de l'amitié et jamais une vraie!»

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Après un autre petit voyage qui l'emmène à  Reims - Vallée de la Meuse - Liège - Nimègue - Utrecht - Amsterdam - Rotterdam - Anvers - Bruxelles - Ostende - Bruges - elle écrit dans son journal en date du 11 juin, deuxième anniversaire du décès de son père, J.O. Marchand: 

                                   «Papa je t'aime.  J'aurais voulu aller à la messe pour Papa.» 


Elle fréquente Michel avec qui elle joue au tennis, participe au Bal de la Tour Eiffel, passe une nuit blanche.  «Il est trop empressé»  dit-elle avant d'aller au cinéma avec Stein, le lendemain sans avoir dormi.    

Elle ira à une grande fête au Pré Catalan avec Michel et ses parents.  Organisé par les étudiants de l'École Centrale, le gala, en présence du couple présidentiel,  met en vedette  «les ballets fantastiques de Loïe Fuller, l’orchestre de danse de Ray Ventura et le jeune « Jacques Tati de l’A.B.C. dans ses impressions sportives »..

Raymonde a une grande nouvelle à annoncer à sa «petite soeur» Liliane dans sa lettre du 22 juin 1938. 


Sa première demande en mariage. 


Petite sœur chérie,

Ton P'tit Monde t'arrive un peu troublée ce matin.  Écoute ma chérie, je te dis ceci mais n'y attache pas trop d'importance.  Ce n'est pas très sérieux et si je te le dis c'est qu'il faut que je le dise à quelqu'un, et nul ne me comprendra mieux que toi. 

Voilà, es-tu bien assise?  Tu ne t'étonneras pas trop et tu l'oublieras bien vite.  J'ai eu ma première demande en mariage cette nuit!  Oh!  Que je voudrais voir la tête que tu fais!  Encore une fois ce n'est pas grave car cela vient d'une personne que je n'aime pas.  Monsieur Michel Descamps.  J'étais même assez embêtée, je ne savais quoi répondre.  Je lui ai dit que je ne l'aimais pas assez pour cela que je venais d'avoir 17 ans etc...  Il n'a voulu rien entendre et me menace de demander ma main à maman.  Le pauvre!  Elle aurait un tel fou rire qu'il prendrait tout de suite la porte. Nous avons fini par nous entendre.  Il attendra que je l'aime... et il attendra longtemps!

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VACANCES D'ÉTÉ 1938

Raymonde et sa mère quittent Paris en compagnie de tante Liza (Éliza Le Boutillier) et de son mari, mon oncle Jules (Poivert) qui sont en visite.  Destination, Saint-Quay Portrieux en Bretagne, après un saut en Normandie à Rouen, Caen et Pontorson.


Ils débarquent chez des amis, les Monnier, qui tiennent une pension à St-Quay Portrieux.  Il y a beaucoup de jeunes autour et parmi eux, des cousins des Monnier, les Bazin qui ont un château à Lisandré.  Raymonde va débuter une longue relation amicale avec Willy Bazin, fils de la marquise.  Elle gardera contact avec son «petit frère»  tout au long de sa vie.

photo: la maison des Monnier
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Raymonde partage son temps entre la plage, le tennis, le ciné, les danses au casino ou ailleurs, les soirées au château de Lisandré, la voile et le plus souvent en compagnie de Willy.  Mais il y a aussi toute une bande d'amis qui se réunissent et fêtent ensemble.  Elle passe les deux dernières semaine du mois d'août à Trégastel, station balnéaire sur la côte dans le département breton des Côtes-d'Armor.  Willy ira lui rendre visite.

Photo: Willy et Raymonde à St-Quay-Portrieux
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VOYAGE EN EUROPE CENTRALE

À peine un petit saut à Paris, des au revoir à tante Liza et mon oncle Jules qui repartiront bientôt pour le Canada, et voici Éva et Raymonde en route pour un périple en Europe Centrale malgré les rumeurs de guerre bien réelles.  Il s'agit d'un voyage organisé en car avec l'agence Cook.


Le voyage les mènera à Budapest, capitale Hongroise sur le Danube, »ville merveilleuse» suivi de Vienne et de Prague qu'elles doivent quitter à la hâte.  Les Sudètes sont en voie d'annexion au IIIeme Reich et il y a des militaires et des croix gammées partout.  Alors qu'ils essaient de quitter la Tchécoslovaquie et de se rendre à Nuremberg, leur car doit s'arrêter sur la route barrée par des arbres abattus.

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Panique à bord!  

Extrait d'une lettre à Liliane (21 septembre 1938.)

«Après le déjeûner à 7 heures, nous sommes partis assez excités et inquiets à Plisen (qui a donné son nom à la fameuse bière Pilsner).  C'était la mobilisation, tout le monde était dans les rues.  Nous nous sommes arrêtés pour demander le chemin.  Nous avions le drapeau français à notre fenêtre.  Tout le monde a accouru de partout pour venir nous acclamer.  J'ai bien pensé que jamais on s'en sortirait.  C'est très émouvant de se rappeler tous ces accueils si chaleureux maintenant que nous les avons abandonnés si lâchement aux mains des Allemands.


À 9h30 nous étions presque à la frontière lorsque l'on arrive sur des arbres qui barraient la route.  Panique dans le car !  Que se passe-t-il?  Nous arrivons trop tard.  Il faut faire demi-tour.  Nous étions en pleine forêt.  Les hommes descendent et constatent que les arbres étaient frais coupés.  Des mitrailleuses tout autour.  Pendant qu'ils explorent ainsi le terrain, des officiers arrivent en moto avec des scies.»


Finalement, elles arriveront à Nuremberg tard dans la nuit.  Raymonde semble bien apprécier l'architecture de Nuremberg.  Mais elle  raconte comment un soir, à la sortie d'un café, leur guide, un journaliste Hongrois naturalisé Belge qui les accompagne depuis le départ, s'est fait arrêter après avoir innocemment parlé avec client allemand qui se présentait lui aussi comme journaliste.  Elles ne reverront plus leur guide.  (voir lettre à Liliane datée du 21 septembre 1938).  

carte postale de Prague 14 septembre 1938
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Budapest

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Prague

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Nuremberg

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Évacuation possible

De retour à Paris les rumeurs de guerre s'intensifient et la tension est à son comble.  Hitler menace Prague.  Édouard Daladier ordonne la mobilisation de 750,000 réservistes.  La pension rue Madame risque de fermer.  Des Parisiens songent à quitter la ville et Raymonde, avec sa mère, prépare les valises et réserve un passage sur l'Île de France.  Le départ est éminent.  Des amis veulent les amener à Versailles, d'autres au Havre.  Les Accords de Munich viendront calmer le jeu. 

En lire plus: lettre à Liliane datée du 1er octobre 1938

Après cet échappée belle, Raymonde sait que leur retour au Canada n'est qu'une question de temps.  Elle a très hâte de revoir et de serrer dans ses bras sa «petite soeur» Liliane mais en même temps elle craint de s'ennuyer à Montréal.  Elle veut profiter au maximum du temps qu'il lui reste à Paris, mais pas au détriment de ses études qu'elle aimerait terminer, ne serait-ce que pour honorer la mémoire de son père.  Elle reprend donc sa vie sociale à fond de train, multipliant les sorties au théâtre, à l'opéra, aux Deux-Magots, au Boléro, au Tyrol, des danses, des bals, des visites de musée, le tennis, le bridge, les restaurants, le shopping, la coiffeuse, la couturière, des visites chez des amis, etc...  Elle voit beaucoup Willy, son «petit-frère» qui aimerait être plus que cela ce qui crée parfois des tensions mais Willy se plie aux caprices de Raymonde qui sort aussi avec d'autres garçons.   .(voir lettre au sujet de Willy)


Les missives adressées à Liliane pendant cette période débordent de mots doux et de tendresse à l'égard de sa «petite sœur» et confidente.  (voir lettre du 27 décembre 1938 à Liliane)

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ci-haut: Morzine

Elle passera les vacances de Noël à Morzine, une commune des Alpes françaises.  Elle y retrouvera certains amis de Paris tels Claude, le bon danseur, et Révillon, le fils du fourreur. 

Voici sa réflexion au passage de 1938 à 1939.


«1938 est fini.  J'ai appris bien des choses.  Michel, néfaste.  Cette année m'a donné un petit frère.  Je demande à Dieu de me faire rencontrer un fiancé idéal et de me garder Tiva longtemps!»

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Raymonde sera fort occupée au cours des premiers mois de 1939.  Ses semaines ressemblent à une suite de sorties, bals, soirées dansantes, théâtre, tennis, concerts, opéra, etc...   Presque tous les samedi soirs elle va danser avec Claude mais elle rencontre aussi Hubert Noël qui l'invite chez lui et d'autres jeunes hommes qui lui font des avances.  Les lettres envoyées à Liliane durant le premier semestre de 1939 décrivent bien cette période et les réflexions qui habitent Raymonde au sujet de l'amour.  Elle ne peut s'imaginer épouser un Français qui risque d'être mobilisé dans les mois à venir.  En effet, Hitler n'ayant pas respecté les Accords de Munich, la tension monte en Europe au printemps de 1939. 

. lettre du 24 janvier 1939 (il est question d'hubert)

. lettre du 25 janvier 1939 (il est question de Claude)

Éva et Raymonde fréquentent aussi les Fougerat.  Emmanuel Fougerat est un artiste-peintre en vogue qui a participé avec J.O. Marchand à la fondation de l'École des Beaux-Arts de Montréal en 1923 et qui a réalisé le médaillon de Raymonde dans ces années-là. Dans une lettre datée du 25 mars 1939, Raymonde parle des risques de guerre mais aussi de sa vie sociale dont une soirée en compagnie des Fougerat au cours de laquelle il sera beaucoup question de J.O. Marchand.

ci-contre:  Emmanuel Fougerat

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VOYAGE EN TUNISIE

avril 1939

Le 4 avril, Raymonde quitte Paris pour la Tunisie avec un groupe d'élèves de Mme Gazaix.  Cette fois, sa mère restera seule à Paris. Mais le groupe n'échappe pas au climat de guerre qui s'installe en France et ailleurs en Europe.  En effet, dès leur arrivée, à Tunis, les élèves constatent que le pays organise ses défenses.  Leur professeur et accompagnatrice Mme Gazaix a demandé aux autorités s'il était préférable qu'elle ramène ses élèves en métropole.  On lui a répondu qu'il n'y avait rien à craindre pour l'instant.  Le voyage durera 15 jours.

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DERNIER SPRINT VERS LE DIPLÔME

mai et juin 1939

De retour de Tunisie, Raymonde doit se mettre sérieusement à étudier.  elle sent qu'elle a pris beaucoup de retard et les examens approchent à grands pas.  Vers la fin avril, elle souffre d'une otite et doit garder le lit quelques jours et annuler une visite du Louvres prévue en compagnie de Mr Fougerat.  Cela la désole de manquer cette visite que son père aurait tant aimé qu'elle fasse avec son ami Fougerat

ci-contre et ci-dessous: extraits d'une lettre du 19 mai...
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Même si elle a très hâte de retrouver sa grande amie Liliane, le retour à Montréal l'inquiète parfois.  elle a peur de s'y ennuyer.  Elle raconte que les cocus au théâtre plutôt que de se suicider, s'exilent au Canada. 


Le 4 mai, elle fête ses 18ans: surprise party, gâteau, champagne, fleurs, sortie avec Hubert au Johny's Bar.

En mai et juin, elle partage son temps entre les études, les sorties au bois de Boulogne, le tennis au Tir aux Pigeons, club sélect dont les Bazin sont membres.  Willy Bazin, «son petit frère»  prendra une photo d'elle.  (voir lettre du 26 mai 1939).  En plus de Willy, elle voit souvent Hubert avec qui elle va danser régulièrement.  Ce dernier l'appelle «adorable Poussy». (voir lettre du 13 juin).

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Dans sa lettre envoyée de Londres le 1er juillet, Raymonde raconte comment ses examens se sont déroulés.  Elle a failli ne pas se présenter à l'examen oral, tellement elle était nerveuse.  Pourtant, elle sortira première du cours Désir avec mention!  Son petit frère, par contre, sera collé à son examen et devra reprendre plus tard. 


Elle mentionne également dans son journal une troisième demande en mariage le 30 juin.  Cette fois il s'agit d'Hubert.  Mais Raymonde est déjà sur son départ.  Elle souhaite même que Willy l'oublie et se trouve une autre amie.  Elle est consciente que la prochaine année sera difficile pour ses amis français.

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LE GRAND DÉPART

«En revenant de Londres, j'ai passé trois jours à Paris pour faire les malles.  Je t'assure qu'il fallait que je me redise que chaque objet me rapprochait de ma petite soeur.  Le dernier jour nous avons été obligés d'acheter deux paniers d'osier  tellement nous avions des choses à mettre.  J'ai quitté rue Madame pour toujours jeudi matin.  Cela doit te faire plaisir ma chérie?  Moi je te l'avoue que je regrette un peu , car j'y ai passé deux années de parfait bonheur.  Je me console un peu en disant que je serai également très heureuse l'année prochaine avec toi.»    

lettre de Beg-Meil, 16 juillet 1939.

photo: un des paniers en question

BEG-MEIL

Éva et Raymonde retournent donc en Bretagne pour un troisième été de suite avant de regagner le Canada en septembre.  Cette fois elles iront à Beg-Meil quelques semaines puis à la Baule, en terrain connu,  le 5 août, jour d'anniversaire de Tiva. 


Dans sa lettre du 23 juillet, Raymonde décrit les paysages pittoresques de la région avec ses petits ports de pêche et particulièrement Douarnenez.  Encore une fois, Raymonde fera partie d'une bande d'amis qui s'amusent à faire du sport, des pique-niques sur des plages ou des îles, des balades en  voiture, à pied, en voilier, etc. 

ci-dessous:  cartes postales de Beg-Meil et de Douarnenez

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LA BAULE

c'est le coeur gros que Raymonde quitte Beg-Meil.   Voici ce qu'elle écrit dans une lettre à Liliane:

«Désenchantement!  S'il n'y avait la mer, on se croirait à Paris sur les Boulevards.  Des autos, des autos, des autos ...  du populo, des femmes aux cheveux blonds platine, aux yeux maquillés, aux doigts de pied rubis, etc... etc...  Ah!  Où sont mes pommiers et mes champs de blé de Beg-Meil?»

(6 août 1939)


Raymonde s'inscrit à un club de tennis et participe aux championnats en simple et en double mixte.  Malgré la tension montante, elle s'amuse avec sa bande d'amis qui compte une trentaine de jeunes fêtards.  Le 23 août elle assiste à un concert de Charles Trenet au Casino.  

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SAUVE-QUI-PEUT!

De retour à Paris fin août, la situation en Europe s'envenime.  Le 1er septembre le gouvernement français annonce la mobilisation générale et le 3 déclare la guerre à l'Allemagne après l'invasion de la Pologne par Hitler. 


Raymonde et Éva avaient prévu traverser sur le paquebot Ile de France en direction de New York. Cela ne semble plus possible.  Priorité aux américains.  Elles finissent par trouver une cabine à bord du Empress of Australia.  Elles doivent se rendre à Cherbourg.  Raymonde part seule et ne retrouvera sa mère que vers 3 heures le lendemain matin.  Elles ont failli se perdre.  La situation est confuse.  J'entends encore ma grand-mère raconter cette histoire, comment elle avait eu peur et comment elle se préparait à toute éventualité, une grosse épingle dans son chapeau ou accrochée sous ses robes longues et un porte-monnaie cousu dans son jupon.  

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photo: passagers de l'Athenia qui évacuent

Le consulat américain ordonne de se rendre au Havre.  Elles ont énormément de bagages à faire suivre à chaque escale.  La rumeur court qu'il est extrêmement dangereux de traverser.  Le 3 septembre, l'Athénia un paquebot avec 1400 personnes à bord en partance pour Montréal  est coulé par un sous-marin allemand.  Il se maintiendra à flots pendant 14 heures avant de sombrer emportant au-dessus d'une centaine de vies. 


Éva et Raymonde apprennent que l'Empress partira de Southampton mais Éva a peur de traverser la Manche.  Elles n'auront pas le choix car elles ont déjà leurs billets.  Après deux alertes au cours d'une autre journée dans le luxueux hôtel Frascati,  elles décident de se rendre à Southampton.  Beaucoup de monde à bord.  Elles arrivent à Southampton à midi le 9 août pour constater que l'Empress n'est pas là.  Que vont-elles devenir? se demandent-elles.  Les journées passent dans l'énervement et la confusion.  Pas de nouvelles à la compagnie transatlantique. 


Elles font un peu de tourisme, vont au ciné, retournent à la pension à la grande noirceur.  Aucune lumière la nuit.  Les défenses sont bien organisées.  Le 13 septembre elles apprennent que l'Empress a été réquisitionné et servira au transport des troupes. 


Elles trouvent une cabine à bord du Duchess of Atholl qui fait la liaison Liverpool, Québec, Montréal.  Elles doivent donc se rendre à Londres puis de là à Liverpool en train et faire suivre leurs nombreux bagages sans compter que les hôtels sont pleins et les rues noires. Il y a même des tentures devant la porte de l'hotel.

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Duchess of Atholl

À 7h30 le matin du 14 septembre elles prennent le train pour Liverpool où elles arrivent à midi.  Elles embarquent sur le Duchess of Atholl le jour même.  Le paquebot demeure au port toute la journée pour finalement larguer les amarres à 5 heures du matin, le 15 septembre en compagnie de son navire jumeau Duchess of York et du porte-avion Courageous qui doit assurer leur sécurité.  Parmi les passagers à bord de leur paquebot se trouvent des survivants de l'Athénia. 


La tension règne.  La peur aussi.  «Saint-Joseph, protégez-nous» écrit Raymonde dans son journal.  Les accompagne depuis plus d'une semaine, un américain du nom de Harry.  Il s'occupe de leur bagage et offre une présence rassurante.  Tiva l'a pris sous son aile et lui a payé le passage.  Il partage leur table.  Son père, banquier à New York, la remboursera.  La traversée commence avec des exercices d'évacuation et des consignes strictes de toujours avoir les gilets de sauvetage à portée de la main.

Le 17 au soir, les passagers entendent une alarme provenant du Courageous qui vient d'être torpillé sous leurs yeux avant de disparaître, 20 minutes plus tard, emportant 519 vies au fond de la mer.  On ne peut qu'imaginer l'inquiétude des civils à bord.  On change de cap et on poursuit le voyage sans escorte. 

cliquez sur la photo du Courageous qui coule
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RETOUR AU BERCAIL

Le reste de la traversée se déroule sans incident.  Raymonde et Éva Marchand arrivent à Québec saines et sauves le 22 septembre  1939.  Maurice Gagné l'attend au bateau.  Dans moins de deux mois, elle rencontrera Dick Paré et, ironie du sort, épousera cet étudiant de Loyola devenu officier dans la marine de guerre, elle qui ne voulait pas de futur soldat comme mari.  Mais ça c'est une autre histoire.

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