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LE NAUFRAGE

10 décembre 1864

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Dans la correspondance que nous avons de Charles Le Boutillier, il est question d'un naufrage, celui du Sainte-Anne, auquel Charles aurait échappé.  Les lettres, qui datent de janvier et février 1865,  ne mentionnent pas le lieu du naufrage. Le Sainte-Anne, un navire de 210 tonneaux, aurait été construit en 1840 par John Le Boutillier.  Que peuvent nous apprendre ces lettres?

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LETTRE DE CHARLES LE BOUTILLIER  À SON PÈRE JOHN

Holy Head - 4 janvier 1865

Dear Father,


I little thought when I left Gaspé that it would be my painful duty, this day, to communicate to you a sad piece of intelligence.

On the 10th dec. at 1 pm whilst scudding under doubled reefed topsail before a gale NW we were struck by a heavy sea who broke wheel, carried away binnacles, skylight, companion, main boom and mainsail and filled cabin and worse than all washed over board

Kyle Louzel

P. Bassels

Ch Akien

Wm Parsons

We laid to, ship labouring heavily and making 18 inches of water per hour - all hands hard at the pumps, till we got her free - sailed again 16th dec,  lying to occasionally in order to take rest and pump ship - 27th signalled brig «Clare» of Dumfries, Carruthers, from St-John N/B, whom picked us up and landed us here this a.m.

Combien de temps cette lettre, écrite le 4 janvier 1865, met-elle pour arriver à destination?  Un mois plus tard, la mère de Charles, qui vient d'apprendre que son fils a échappé à un naufrage,  ne possède toujours pas pas les détails énoncés ci-dessus.   Par contre certains de ces détails  se retrouvent dans la lettre qu'Édouard envoie à son frère Charles le 20 février 1865.  Il semble donc que la famille Le Boutillier ait été sans nouvelle de Charles pendant près de deux mois.   


Voici donc les faits: 

Le 10 décembre 1864 une mer déchaînée a emporté 4 marins, nommés dans la lettre, ainsi que des instruments de navigation, un puits de lumière, la descente vers la cabine, qui fut remplie d'eau.  Furent endommagés, le gouvernail, le mat principal etc...   et l'eau de mer s'infiltrait à raison de 18 pouces à l'heure.  L'équipage dut  pomper (à bras) l'eau jour et nuit et au bout de six jours, ils purent libérer le bateau dit Charles.  Étaient-ils échoués sur un banc de sable?  Finalement, le 27 décembre, 17 jours après la disparition des 4 marins, ils purent envoyer des signaux au navire «Clare» dont le capitaine se nommait Carruthers.  Celui-ci les déposa à Holy Head, un port du Pays-de-Galles le matin du 4 janvier 1865.   

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Le Mystère Persiste


À part les lettres, la seule référence que j'ai trouvée concernant un naufrage mentionne un navire français du nom de Sainte-Anne qui coula dans la Mer du Nord en janvier 1865 alors qu'il s'échoua sur le banc de sable North Hinder (Noorhinder) pendant sa traversée de River Tyne à Anvers, Belgique.   S'agit-il du même navire?  Est-ce que le Sainte-Anne de John Le Boutillier battait pavillon français?  Quelles sont les chances que deux navires du même nom aient échoué `presqu'en même temps?  Je n'ai pas pu trouver d'autres détails sur ce naufrage rapporté par "Marine Intelligence",  Newcastle Courant, le  13 janvier 1865, selon une référence de wikipédia.

Élizabeth Robin

ÉLIZABETH ROBIN

5 février 1865

Lettre d'Élizabeth Robin à son fils Charles Le Boutillier (mon arrière grand-père).



Gaspé Fev 5 1865,

 

Mon cher Charlie,

 

Comme nous avons été inquiets de toi depuis que nous avions appris l'arrivée des bâtiments à Jersey et que la Ste Anne n'était pas arrivée, étant parti dans le même temps, et avant-hier nous avons eu la douleur d'apprendre que vous étiez naufragés mais Dieu merci tu as échappé, mais quelle souffrance vous aurez éprouvée, on ne sait pas encore aucun détail et nous avons hâte d'avoir la prochaine malle, tu sais que je n'avais pas confiance dans ce bâtiment là et surtout avec un nouveau capitaine.

 

J'aurais été moins en peine si tu étais embarqué dans l'Alice Jane.  Fouzel est venu à l'office savoir des nouvelles de son garçon.  On ne pouvait lui en donner autre  qu'il serait un des quatre qui sont perdus, pauvres gens.  Tu n'auras pas grand plaisir de ton voyage après une si grande épreuve.

 

Fais bien mes compliments à ta tante Mary dis lui qu'on lui envoyait tous des présents; c'est bien la première fois qu'il arrive des accidents depuis qu'on lui envoie de quoi tous les ans puis enfin fais mes compliments à Mr Balleine.  Tu trouveras en lui un bon ami.

 

George et Edouard sont venus passer une semaine.  Ils sont logés chez Horatio qui les a bien reçus.

 

La femme de Philippe a mis au monde une fille il y a huit jours.  Ton père part demain pour Québec.  Les chemins sont mauvais nous avons de la neige en quantité  Nous sommes tous bien.  Le petit docteur était bien en peine d'avoir de tes nouvelles   ... (phrase difficile à lire) 

Je demeure ta mère affectueuse

Élizb

Lettre d'Antoine Painchaud à son beau-frère Charles, 6 février 1865.

Bassin de Gaspé février 6 1865


Mon Cher Charles,


J'ai appris avec chagrin ton naufrage dont cependant nous n'avons pas encore de détails; et si l'on excepte la perte des quatre vies précieuses, parmi lesquelles peut-être du pauvre jeune Le Fousel, la perte du Ste-Anne et de son chargement  est peu de chose puisque tout était bien assuré....

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Dans cette troisième lettre (ci-dessous) datée du 20 février, qu'Édouard envoie  à son frère Charles, le ton est un peu plus dramatique, non seulement en ce qui a trait au naufrage, mais en plus Edouard annonce le décès de sa belle-soeur, Susan Thorpe (25 ans), deuxième femme de Philippe, survenue  le 5 février à 8h a.m. 




Lettre d'Edouard Le Boutillier à son frère Charles: 1865 


 

Percé, 20 Fév 1865

 

Mon cher Charles,

 Il n'est pas besoin pour moi de te dire dans quelles mortelles inquiétudes nous restâmes après la simple lecture du désastre du Ste-Anne annoncé si laconiquement dans Wilmer.  Ce n'est qu'une dizaine de jours après que l'heureuse nouvelle de ton échappée vint dissiper nos craintes de ton sort.  Je conçois facilement ce que tu as dû souffrir dans une position aussi périlleuse en face de la mort sur le sombre et vaste océan pas pendant 17 heures! mais pendant 17 jours, ça fait frémir!

 

À peine étions-nous rassurés sur ton compte, qu'un autre malheur vint nous frapper, malheur trop réel; la femme de Philippe après être sortie apparemment victorieuse d'un laborieux accouchement et au moment où on la croyait sauvée nous a laissés de la manière la plus inattendue on peut dire qu'elle est morte subitement.  Philippe tout naturellement éprouva pendant quelques jours de cuisants chagrins mais grâce à la gaieté  naturelle de son caractère, il supporte bien la perte.

 

Elle est décédée le 5 février à 8h a.m.  Elle a laissé à Philippe une fort jolie petite fille fort mignonne qui promet de vivre.  Nous l'avons ici sous les soins d'une nounou et de Éliza.  Éliza part demain, maman vient la remplacer pour une couple de mois.  La petite se nomme Victoria Harriet.

 

Dans la nuit du 17 au 18 des voleurs profitant de la faveur des ténèbres et de la violence d'une tempête se sont introduits dans le magasin en enlevant au moyen d'un passe-partout tout l'espace autour de la serrure (la porte qui donne sur la mer).  Ils ont emporté des effets au montant de £ 6.  Ils ont aussi essayé de défoncer le «safe» mais sans succès.  La même nuit, ils se sont introduits dans le magasin de LeBrun mais n'ont pris que quelques bagatelles.  La justice n'a pu saisir encore les «raiders» pas ceux de StAlban mais ceux de Percé.  Papa est parti d'ici le 15 en route pour Québec.

 

Nous avons eu un hiver détestable, tempête de neige et des rages de vents continuels. 

 

J'ai été faire des petits tours à Gaspé vers la fin de Janvier avec George.  Je m'y suis bien amusé.  Je restai au Consulat Italien.  C'est la seule promenade que j'ai faite cet hiver.  Je me propose d'y retourner après la Cour-  Papa m'a vendu une propriété au Bassin, voisine de la tienne.  Tu auras un bon voisin.  J'espère que tu garderas toujours une bonne table couverte des mets les plus délicats, fais-toi une grosse provision de recettes culinaires, nous ferons des repas pantagruéliques. 

 

George est allé arpenter aujourd'hui.  Il voudrait que tu nous fis la faveur d'acheter des chapeaux comme on en voit pas sur la côte, c'est dit-il pour se distinguer d'avec la canaille.  Nous avons tous 3 la tête de la même grosseur à peu près et il y a une légère différence entre toi et moi mais je ne me rappelle pas si elle est plus petite ou plus grande. m'importe, George un peu plus grande que la tienne.  J'ai reçu ta Cronique (?).  Cette fois je t'adresse quelques Chronicles.

 

(dernier paragraphe dur à déchiffrer)

 

Tout à toi,

Ed Le Bouthillier

NAUFRAGE ET FAILLITE

Plusieurs détails intéressants ressortent de cette lettre d'Édouard à Charles.  D'abord ce fameux naufrage.


Rappelons, que Charles n'est pas encore marié.  Il va épouser Hélène Têtu en 1871 et ma grand-mère Éva naîtra en 1874, deux ans après sa soeur aînée, Hélène. La famille va connaître des années fastes avant la faillite.  Y a-t-il eu un autre naufrage plus tard ?  Je n'ai trouvé aucune trace d'un autre naufrage.  Il est clair d'après ces lettres et à la lumière du style de vie des 20 années suivantes que le naufrage de la Sainte-Anne n'est pas responsable de la faillite de la compagnie Charles Le Boutillier qui se serait produit beaucoup plus tard, vers 1890.  Celle-ci est probablement due en partie à la crise financière de 1886 et plus précisément  à la faillite de la Jersey Banking Company qui entraîna dans son sillon nombre de compagnies de pêche anglo-normandes originaires des îles Jersey dont Robin et les Le Boutillier Brothers, cousins de Charles.  Il y a de bonnes chances que la compagnie de Charles fut du nombre des victimes de cette crise qui couplée avec une diminution des stocks de pêche sonna le glas du modèle Robin.  Acculés à la famine, les pêcheurs de Paspébiac  se révoltèrent et pillèrent les magasins des compagnies.

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LA PÊCHE

Le modèle Robin

Comme tout le monde, j'avais déjà entendu des récits ou vu des films sur l'exploitation des pêcheurs gaspésiens par les compagnies.  Je n'avais pas vraiment réalisé que mes ancêtres avaient été parmi ces exploiteurs anglo-normands des îles Jersey dont le bilinguisme et les compétences d'armateurs leur donnaient une longueur d'avance dans la «mise en valeur»  des côtes gaspésiennes.

Il est certain que le rapport marchand-pêcheur était inégalitaire et reposait sur le troc.    Plusieurs ont témoigné de cet échange inéquitable mis au point par Charles Robin mais adopté par toutes les compagnies de pêche de l'époque.

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«Une compagnie achetait à vil prix le produit de leur pêche et leur vendait, à un prix très élevé, les effets dont ils avaient besoin et que seule elle pouvait leur fournir. L’automne, elle fermait ses livres exigeant que tout ce qui lui était dû fût payé avant que ses employés quittent la localité pour l’hiver. Elle refusait tout crédit aux pauvres, même aux pères des familles très nombreuses. J’ai vu des familles ne manger que de l’orge bouillie pendant tout un hiver. Heureusement, il y avait à cette époque des porcs-épics en quantité et ce gibier, en leur fournissant la viande nécessaire dans un si rude climat, a sauvé la vie à plusieurs familles.»

Timothée Auclair

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Pour en savoir plus sur la pêche:

Dans sa thèse La Gaspésie dans tous ses États : Grandeurs et misères du développement régional au Québec,  Matthias Rioux présente les points de vue de divers auteurs, historiens, économistes, romancière ou simplement témoins de l'époque, tel Timothée Auclair. 

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LE CONSULAT

Édouard Le Boutillier mentionne également qu'il a séjourné au consulat d'Italie à Gaspé.  Et bien, oui.  Il y eut jusqu'à 11 représentations consulaires à Gaspé lorsque cette ville acquit le statut de port franc de 1860 à 1866.  C'est en fait la maison d'Horace Le Boutillier qui abrite les consulats d'Italie et du Brésil et c'est ce même Horace, fils de John Le Boutillier qui agit comme consul en plus de travailler dans l'entreprise familiale.

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