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Lettres à Lisa été 1913

 Paris 4 juin 1913 

 

Charmante Mademoiselle Lisette

 

Me voici, de nouveau, sur le pavé parisien. Après huit mois d’un exil bien agréable et qui ne me laisse que de très doux souvenirs, je suis heureux de revoir mon petit home de la rue d’Assas, de retrouver les quelques rares amis qui n’ont pas encore pris leur vol vers des contrées lointaines, de respirer l’air vivifiant de la Capitale du monde.

 

Je suis arrivé ici le cœur plus tranquille et l’esprit plus reposé que l’an dernier. Oui, mignonne Lisette, je suis devenu sage. Ne l’avez-vous pas constaté vous-même? Et n’est-ce pas vous qui, consciemment m’avez conduit à cet état d’équilibre moral? Que de folies j’ai faites, grand Dieu, depuis que je vous connais! Folies peu dangereuses pour les autres mais qui prouvent bien mon détraquement. Enfin le calme est à peu près revenu et le fou s’est retrouvé philosophe.

 

Et puis, à part les petites fâcheries du début de l’année, dont la cause est encore un mystère pour moi, nos relations amicales ont été moins troublées que l’année dernière. Nous avons tenu, l’un et l’autre, le sage engagement que nous avions pris d’un commun accord, et vous avez eu la gentillesse d’adoucir les rigueurs du combat. Nous nous sommes donc quittés bien bons amis sur une dernière et délicate attention de votre part.

Comment me serait-il donc possible de ne pas me rappeler des heures d’amitié si douces. J’entends encore ma Lisette me racontant l’histoire de ce jeune homme qui ne pensait pas toujours à passer chez le barbier avant d’aller chez sa blonde, ou encore celle de cet autre qui oubliait de se lever de dessus son siège pour présenter ses salutations, ou enfin celle de ce français qui gardait son chapeau dans les musées, en prétextant que tel était la coutume dans son pays. Je revois ma Lisette se promenant fièrement une canne à la main, à côté d’un monsieur barbu portant un petit sac vert, tout cela pour le plus grand plaisir des passants. Choses bien insignifiantes en apparence, et dont le souvenir suffit cependant à réchauffer le cœur.

 

J’ai retrouvé ici quelques choses précieuses qui m’ont encore parlé de vous. C’est d’abord, dans mon salon, un agrandissement d’une photographie que m’avait envoyé votre beau-frère et qui vous représente en sa compagnie, celle de votre chère maman et de votre sœur. Puis quatre lettres que j’ai relues avec plaisir, quoique en connaissant le contenu par cœur. Les deux premières en date, charmantes, affectueuses, me parlent de vous, les deux autres mentionnent simplement la contrée où vous vous reposez. C’est beaucoup et c’est peu. Serais-je plus ou moins gâté cette année? Ne voulez-vous pas profiter de ma sagesse pour m’écrire un peu plus longuement charmante Lili? Avez-vous peur de nouvelles explosions qui vous forcent à employer de nouvelles douches glacées à mon retour?

 

Pour moi je vous enverrai de jolies cartes postales et aussi de temps en temps (sans rien exagérer, je vous le promets) quelques longues lettres.

 

Croyez charmante petite amie à mon profond respect

Jules Poivert

48 rue d’Assas

 

PS: Caroline étant devenue trop vieille, je me suis trouvé dans la pénible nécessité de la remplacer dès mon arrivée.

 Paris 3 juillet  1913

 

Mignonne Miss Lisette,

 

J’ai reçu ce matin votre charmante carte postale. Elle se terminait par une phrase exquise et d’un parfum infiniment plus subtil que celui des fleurs que je vous ai envoyées le jour de mon départ. De plus elle contenait une promesse que vous avez à cœur de réaliser : celle de m’envoyer d’autres cartes semblables. Je vous remercie donc, charmante Lili, du bon souvenir que vous conservez à votre bon ami l’exilé

 

Certes je suis bien heureux ici car les distractions ne manquent pas. S’il fait beau temps, je vais, le soir, écouter sous les arbres du jardin des Tuileries quelques symphonies admirablement exécutées et c’est là je vous l’assure un régal de dilettante. J’ai trouvé, pour occuper mes loisirs le jour, une autre distraction également captivante. Je fais de l’aquarelle. Depuis longtemps j’avais délaissé la palette, mes occupations à Paris m'ayant orienté va être vers d’autres buts.  Mais le physique ayant une action certaine sur le moral, il était naturel qu’un jeune homme rasé se livrât à d’autres occupations qu’un vieux barbu. Donc, par là aussi je fais un retour en arrière. C’est une façon sinon de redevenir jeune, du moins de se donner l’illusion de l’être. Et puis quelques jolies aquarelles sont toujours bien reçues des personnes qui vous sont chères et peut-être y a-t-il là aussi une raison de l’intérêt nouveau que j’apporte à ces études.

 

Depuis ma dernière lettre, quelques événements qui auraient pu avoir des conséquences tristes se sont produits ici. La charmante madame Dulieux, à la suite d’une fatigue, s’est trouvée subitement malade, à tel point que son transport à l’hôpital a été jugé nécessaire. Depuis trois semaines elle garde le lit, mais sa guérison est assurée maintenant. Elle partira pour Lyon dans son pays, samedi prochain. Mais quelle alerte?

 

Je ne bougerai probablement pas de Paris jusqu’au mois d’août août époque à laquelle j’accomplirai un petit voyage dans le midi de la France pour aller revoir ma famille. Puis j’irai chasser chez Venna en compagnie de monsieur et madame Dulieux et enfin nous reviendrons tous trois à Montréal par le Scotian qui partira du Havre le 20 septembre. Trois long mois me séparent donc encore de l’instant du retour. Me reconnaîtrez-vous à ce moment charmante Lili dans mes nouveaux vêtements taillés à la façon américaine, car j’ai impitoyablement mis mon tailleur à la porte et exigé de son successeur une coupe du dernier chic.

 

Si j’étais femme, je vous proposerais de vous rapporter de Paris tout ce qui pourrait vous être utile, et dont l’acquisition est plus facile et moins coûteuse qu’à Montréal. Mais peut-être, de la part d’un homme une telle proposition serait-elle fort indiscrète.

Je vous envoie, comme vous l’avez constaté en ouvrant la lettre, la photo d’un jeune homme que vous avez souvent rencontré dans les rues de Montréal et à qui, si mes souvenirs sont exacts, vous avez promis certaine jolie photographie. Quand donc la lui enverrez-vous?

 

Je termine en vous souhaitant d'heureuses vacances dans la Gaspésie, et vous prie, charmante petite amie, de présenter mes respects à votre chère maman.

Votre respectueux ami

Jules Poivert.

 Paris 20 août 1913 

 

Vous me gâtez charmante Lisette. Vos jolies cartes postales m’ont fait grand plaisir. Je suis bien heureux de vous savoir tranquillement installée dans un si joli site avec votre chère maman. Terminez paisiblement vos vacances et revenez à Montréal avec de belles couleurs et une bonne santé.

 

J’ai passé quelques jours à Bordeaux, dans ma famille et me voici de nouveau à Paris, jusqu’au jour du départ, 20 septembre. Je ferai encore quelques excursions aux environs pour aller admirer les belles cathédrales, à Reims, Chartres, Amiens, etc. Et ce sera tout pour cette année.

 

J’ai hâte de revoir le Canada et mes bons amis, car là aussi je passe de charmantes heures qui me font oublier l’exil. J’espère qu’à mon retour vous serez réinstallée dans votre petit appartement de la rue Saint-Hubert et que c’est là que j’aurai le plaisir d’aller vous présenter mes amitiés.

 

Donc à bientôt, charmante Mademoiselle Lisa, et mes respects à votre chère mère.

Bien respectueusement à vous,

Jules Poivert

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