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Mademoiselle Lisa

L'histoire d'amour entre Élizabeth Le Boutillier et Jules Poivert commence le 10 décembre 1911.  En fait, nous n'avons qu'une version très colorée de cette histoire telle que  contée par Jules Poivert à travers ses multiples lettres, comptines, poèmes et piecettes de théâtre, sur papier ou cartes postales, datés ou non, tous adressés à Mademoiselle Lisa dans une langue d'une autre époque teintée d'un humour absolument délicieux.  Ainsi, la voix d'Éliza Le Boutillier se fait entendre à travers les paroles que lui prête son soupirant Jules Poivert.  Celui-ci fera preuve d'une persévérance et d'une créativité hors normes pour conquérir le coeur de cette femme qui, semble-t-il, ne cesse de lui résister.  

(1881-1970)

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(1867-1955)

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Jules Poivert aimait écrire à l'endos de cartes postales sans adresse.  Sans doute les envoyait-il dans une enveloppe, accompagnées ou non d'une lettre.  Poèmes et dialogues étaient parfois composés en alexandrins.  Nous présentons ici quelques unes de ces cartes postales mais avons, la plupart du temps,  retranscrit les textes pour épargner le lecteur.

Précis d'histoire

Nous publions ici les cartes postales originales, recto-verso

Les cartes postales ci-dessous (sans doute écrites en 1912) illustrent bien l'importance que Jules Poivert accorde à sa rencontre avec Élizabeth Le Boutillier.  Bien que le ton soit humoristique on devine un peu la frustration du mathématicien (c'est ainsi qu'il se définit ici) à la fin de la deuxième carte «l'Ami au même titre que les autres»

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Le Bulletin

Le 29 décembre 1912, soit quelques semaines après sa première rencontre avec Éliza (cliquez pour l'épellation s-vs-z), mononcle Jules, le professeur à Polytechnique, lui remet ce relevé de notes de fin d'année.  Selon la méthode française, les notes sont sur 20.  Remarquez la dernière note pour l'élément «élans vers le mariage»

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Mots d'amour et Amour des mots

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À ma Muse

Ah! Pour chanter ma Lisette

Que ne suis-je grand poète

De mes vers estropiés

Trop souvent manquant de pieds

Je ferais, ô chère muse

(pardonnez, ce mot m'amuse)

Des vers dignes de Musset

Hugo, Lamartine et caet

éra. Des rimes tres riches

J'ornerais mes hémistiches

Bref mes vers seraient jolis

Et raviraient ma Lili

La plupart des messages amoureux de Jules Poivert revêtent un caractère humoristique, parfois teinté de sarcasme, sous forme de poèmes, de récits dramatiques, de déclaration de guerre, de descriptions de rêves ou autres.  Les premiers billets, présentés ici et non datés, font exception.  

Charmante Mademoiselle Lisa

J'ai souvent contemplé vos yeux.  Ils sont profonds et remplis de mystères, comme ceux de cette Mona Lisa, immortalisée par Léonard de Vinci.  Ils m'ont révélé votre âme, si tendre, si passionnée, si farouche, et je me suis juré d'en pénétrer les profondeurs secrètes.

O! songer, un seul instant qu'il serait possible d'être, un jour, votre ami, votre frère, votre confident. 

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Sur les Traces de Victor Hugo

Les vers ci-dessous envoyés à Lisa sont inspirés du poème À une femme de Victor Hugo, poème que Poivert transcrit dans le billet qui accompagne ses rimes et la note ci-dessous.

A mademoiselle Lisa

 

La sublime poésie que je vous envoie, Mademoiselle, m’a été inspirée hier soir par la lecture des odes et des balades de Victor Hugo. Je crois, toute modestie à part, n’être pas resté inférieur à ce poète de génie, sinon par la perfection de la forme, du moins par l’élévation de la pensée.

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Lisa, pour votre amour
poème en alexandrins

Lisa! pour votre amour je brûlerais un cierge

J'immolerais aux dieux le chat de ma concierge

J'aurais l'amour du bridge et l'horreur du piano

Je ne mangerais plus que des pommes bouillies

Et du veau sans saveur arrosé d'eau rougie

Je coucherais, la nuit, au fond d'un vieux tonneau

Lisa! pour votre amour, je casserais ma pipe

Lisa, pour votre amour, je courrais au trépas

........................................................................

.........................................................................

Mais permettez Lisa qu'à regret je vous quitte

Car la cloche sonne l'heure de mon repas

Au lyrisme romantique, j'ai, sans effort

substitué la réalité moderniste.  Mes vers en sont-ils moins beaux ???

NOTE:  casser sa pipe  = mourir

Lisa 

Quand l’esprit torturé d’angoisses et de fièvres

Je murmure ce nom, comme un miel, doux aux lèvres

Aussi doux qu’un baiser

Un frisson de bonheur passe sur tout mon être

Et je sens la douleur lentement disparaître

Et mon cœur s’apaiser

Mademoiselle Lisa

 

Le papier sur lequel j’écris est bien commun. Qu’importe, si les pensées qu’il emporte sont belles. Je vous envoie les vers que je vous ai lus il y a un instant. Ils sont bien faibles, donc ils sont de moi. Et pouvez-vous penser, Mademoiselle Lisa, que je vous enverrais des vers composés pour une autre par un autre que moi?

 

 

Lisa

 

Dans le recueillement, à genoux sur la pierre

Lorsque, le soir, à Dieu, j’adresse ma prière

Pour guider ce rêve pieux

C’est votre nom béni que tout bas`je murmure

Car pour monter vers LUI, le nom d’une âme pure

Sait trouver le chemin des cieux

 

Jules Poivert

Histoire de pêche et «délyre» de Jules

Dans une de ses cartes postales non-datées (sans doute été 1912) Jules Poivert raconte avoir apporté sa lyre chez le luthier pour la faire réparer, mais en vain.  L'artisan lui annonça qu'il n'y avait plus rien à faire pour son vieil instrument.  Alors, Jules Poivert avait décidé d'écrire au directeur de Polytechnique pour avoir une avance sur ses «appointements» en vue d'acquérir une nouvelle lyre.  Dans la carte ci-dessous, Poivert tisse une histoire comique autour de cette demande.

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Mademoiselle Lisa

Encore un accroc.  Je vous ai dit je crois que j'avais écrit au directeur de l'École pour lui demander de m'avancer des fonds nécessaires à l'achat d'une nouvelle lyre.  Afin d'activer les choses, j'avais cru bon de faire suivre ma lettre d'une dépêche ainsi rédigée: «Dépêchez-vous, ma Lili n'a plus de vers».  

Or, par erreur le télégraphiste a transmit ceci: «Dépêchez-vous, ma ligne n'a plus de vers.»

Le directeur de l'École, supposant que je demandais de l'argent pour acheter des vers et aller pêcher à la ligne m'a répondu: «Je fais le nécessaire mais en attendant vous pourriez employer des asticots.»

HORRIBLE!

La résistance de Lisa telle que racontée par Jules

Dans plusieurs de ses textes, poèmes, contes, saynètes, rêves et autres, Jules Poivert se met en scène comme l'amoureux éconduit en décrivant une Lisa plutôt réfractaire face à ses avances. La cuisine est un thème familier et Poivert aime taquiner Éliza qui, comme ses soeurs Le Boutillier, n'a pas la réputation d'être un cordon bleu...  Il va jusqu'à lui envoyer des recettes.

Mon ami P... m'a raconté

Je fréquente assidûment une jeune fille étrangère avec qui je discute souvent sur la question mariage.  Parmi tous les griefs qu'elle soulève, elle met surtout en avant la question gourmandise, qui, dit-elle, est proverbiale chez les Français.

 

Or, un jour que je lui disais: nous ferions, sans doute, un bien mauvais ménage car nous nous accorderions bien difficilement sur la question cuisine; elle me répondit:

"On peut ne pas s'accorder dans la cuisine et s'accorder très bien dans le salon"

Auriez-vous osé prononcer une pareille phrase, vous, Mademoiselle Lisa...

la résistance suite...

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Sous forme de poèmes

Ma Lisa m’a dit un soir 

D’être aimé, perdez l’espoir 

Mais, non sans délice, 

Nous pourrons vivre en ami 

S’il vous plaît d’être soumis 

À tous mes caprices

Ma Lisa me dit souvent

Choses qu'emporte le vent

Timides mensonges.

Mais je lis, dans ses yeux

Les secrets que vers les cieux

Dirigent ses songes

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verso

Mademoiselle Lisa

 

Mon rêve de la nuit dernière m’a inspiré les beaux vers suivants:

 

Autrefois, amoureux, mais hélas sans fortune

Pour plaire à ma Lisa, je décrochai la lune

Puis lorsqu’on refusa mon nuptial anneau

Je cachai ma misère au fond d’un vieux tonneau

Aujourd’hui les chagrins ont miné tout mon être

Et la lune me nargue en dorant ma fenêtre

 

Pauvre de moi!  Quant au tonneau, je l’ai troqué contre un Pernod

Et je bois à ma Lisette

Zou Zou Zette

Et je bois à ma Lisa

Zou Zou Za 

Sous forme de saynètes 

Les dialogues Scène II et Scène III sont en fait des monologues, puisque Jules ne dit rien.  Nous n'avons pas retrouvé la scène I , si jamais elle a existé.

SCÈNE II

-Mlle Lisa:

Oui, parfois, d’un mari, le concours met à l’aise

Et il cire les souliers, prend soin de la fournaise

Embouteille le vin, commande aux fournisseurs

Met la musique en ordre où change l’eau des fleurs

Veille aux soins du ménage et fait que, chaque chose

Soit à sa place. ainsi, pendant que tout repose

Et que madame dort au sein d’un lit moelleux

Monsieur va, vient, s’agite et fait tout pour le mieux

Mais souffrir, au réveil, sa morgue autoritaire

Jamais!!   Mieux vaut, 100 fois, être seule sur terre. Monsieur Jules!!

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SCÈNE III

-Mlle Lisa:

Ah! L’amour, parlons-en, dans vos yeux d’égoïste

Je lis ceci : l’amour, pour vous, consiste

À trouver le repos au foyer conjugal

À lire, au coin du feu, le soir votre journal

À manger des plats fins, à trouver votre linge

Raccommodé, enfin à remplacer le singe

Primitif par un être aux sens plus raffinés

Votre désir est noble et vos goûts sont bons

Mais, de l’amour, hélas! L’idéal vous échappe.

 

- Monsieur Jules: ........................................…………………………..

…………….………………………………

Mlle Lisa:

Pour moi, la vie à deux ce n’est qu’une rude étape etc…… etc……

Mirage et désillusions    ( le titre est de Jules Poivert)

Le texte de la scène ci-dessous n'est pas daté, mais si on se fie à la deuxième période de l'Histoire Moderne telle qu'écrite par Jules Poivert dans son Précis d'Histoire plus haut il a dû le composer entre le 23 janvier et le 23 février 1912, période pendant laquelle Lisa utilise la formule Monsieur Jules.

- Allô! Allô! C’est vous? Mademoiselle Lisa

 

- Oui monsieur

 

- Monsieur qui?

 

- Monsieur Jules

 

- Fort bien c’est lui mais quoi! Je rêve? Allô! J’écoute

Ai-je bien entendu? Grand Dieu je pâlis à

Ce doux nom répété par vous charmante amie.  

Monsieur Jules!! Autrefois j’étais monsieur Poivert

Ou Treviop si l’on veut me tourner à l’envers.

Quel changement subit en un si bref espace

De temps! Un fait nouveau a-t-il surgi? Mais non.

Puisque depuis trois jours je n’ai vu ma Lizon

Et ne lui envoyai ni prose ni rimasses.

Allô!  Allô! C’est moi… C’est Jules, c’est Julot

 

- Mademoiselle Elisa (d’un ton sec):

Ne vous emballez pas! J’ai prononcé ce mot

Par erreur. Je n’étais pas seule au téléphone.

Un galant cavalier était là près de moi

Parlant d’amour dès lors jugé de mon émoi

J’ai bien pu n’est-ce pas me tromper de personne

Or si je ne connais qu’un seul monsieur Poivert

Ou Tréviop si l’on veut vous tourner à l’envers

Des Jules, j’en connais bien cent beaux, jeunes, riches,

Qui tous me font la cour. N’êtes-vous pas godiche

De penser que pour vous, j’aurais d’un si doux nom

Fait usage? Grand Dieu, changez votre prénom

De peur qu’à l’avenir une erreur si grossière

Puisse encore se produire et me mettre en colère.

 

- Monsieur Jules (refermant le téléphone):

voilà! Ça t’apprendra, vieux barbon, vieux nigaud,

À t’emballer trop vite et triompher trop haut

Ne perdras-tu jamais l’occasion de te taire?

 

- Une voix (venant du ciel ou de l’étage au-dessus):

Pourquoi ne pas ouvrir les yeux

Élisa t'aime comme un frère

Mais ton amour la désespère

Cesse d’aimer, tu es trop vieux

 

                              Jules

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Recto

-Mr Jules:        

Mlle Lisa nous sommes aujourd’hui le 7, par conséquent notre anniversaire tombe dans trois jours.

 

-MlleLisa:

Il me semble que ces anniversaires arrivent bien souvent.

 

-Mr Jules: 

Pas plus d’une fois par mois avez-vous l’intention de me faire une surprise agréable Mademoiselle Lisa?

 

-Mlle Lisa: 

Nous verrons, nous verrons, est-ce que cela ne peut pas se remettre à plus tard? 

 

-Mr Jules: 

Oh! assurément si, Mlle Lisa, cela peut s’ajourner de mois en mois jusqu’à la fin du monde

Verso

Mr. Jules:

   Parlons d'amour, ô ma Laïzeux

Parlons d'amour et que, dans le mystère 

Nos coeurs unis s'envolent de la terre

   Pour monter jusqu'aux cieux

Mlle Lisa:

   Pour parler d'amour, Monsieur Jules

   Ne trouvez-vous pas ridicules

   Qu'il faille aller en si hauts lieux

   Restons sur terre! on est bien mieux

Mr. Jules:

Ô ma Lisa!  Combien je vous trouve cruelle

Je voulais m'envoler.  Vous m'avez brisé l'aile

     Je resterai sur terre, mais

     Ne parlerai d'amour jamais.

Sous forme de réçit

Récit dramatique des amours de Monsieur 44 et de Mademoiselle 27

Le titre ci-dessus qui est de Jules Poivert fait sans doute référence à leur âge, 44 ans pour Jules, 27 ans pour Éliza.  Si on se fie au Précis Historique (voir ci-haut) Jules Poivert datait la naissance de Lisa au mois de mai 1883, ce qui est faux.  L'erreur peut s'expliquer comme suit:   il compose ces billets à peine un mois après l'avoir rencontrée (voir la note à la fin).  Élizabeth Le Boutillier est née en mars 1881, 14 ans après Jules Poivert.  Il rectifiera cette erreur plus tard dans «une thèse philosophique».

 

 

Il était une fois un garçon nommé monsieur 44, ne possédant aucune des qualités requises pour troubler le cœur des jeunes filles, à savoir : la beauté, la jeunesse, le charme ou l’élégance, mais qui, par contre, était affligé du caractère le plus primitif, le plus sauvage et le plus capricieux qu’il fut possible d’imaginer.

 

Et une jeune fille nommée Mademoiselle 27, aimable, gracieuse, spirituelle et grande monteuse de bateau.

 

Monsieur 44 avait eu la folie de tomber amoureux de Mademoiselle 27 et s’était juré d’en faire la conquête, de même qu’il s’était juré, 25 ans auparavant, de devenir un grand musicien, puis plus tard un grand mathématicien, et enfin un grand architecte (tous ces grands projets d’ailleurs n’avaient abouti qu’à de grandes désillusions).

 

Or, il advint que, par un caprice étrange, Mademoiselle 27 ne repoussa pas complètement les avances de monsieur 44. À la vérité, nuls transports passionnés ne révélèrent chez elle le moindre amour naissant. Jamais par une température de 40° au-dessous de zéro, glace n’eut moins de tendance à fondre, mais les plus basses températures  ne sauraient durer indéfiniment, et la période de dégel se produit tôt ou tard (voilà du moins ce que pensait monsieur 44 qui se souvenait vaguement de ses lois de physique élémentaire)

 

Cependant le temps passait et Mademoiselle 27 ne dégelait pas. Impossible de lui persuader de s’arrêter ne fût-ce qu’une seconde sous la branche de houx qui pendait dans son antichambre. Toutes les tentatives avaient piteusement avorté. Et cependant Dieu sait si les bonnes occasions s’étaient multipliées (fête de Noël, du jour de l’an, du jour des rois etc...). On aura peine à croire qu’après 23 rendez-vous 237 conversations par le téléphone et 8545 soupirs amoureux monsieur 44 n’avait obtenu pour toute faveur que l’autorisation d’embrasser un doigt de gant pendant l’espace très court d’un centième de seconde.

 

Et voici le phénomène naturel qui se produisit :  de même que la quantité de chaleur emmagasinée avant leur départ par les grands explorateurs s’évanouit complètement après un séjour trop prolongé dans les mers  polaires, de même, au contact de Mademoiselle la 27, monsieur 44 devint froid comme un serpent à tel point qu’un jour ( le 14 janvier 1912) ayant voulu placer la main sur son cœur pour voir s’il battait encore pour sa blonde, il faillit la retirer avec trois doigts et le pouce complètement gelés.

 

Un tel état de choses ne pouvait durer.   Monsieur 44 à l’aide d’un calcul algébrique, qu’il est inutile de reproduire ici, avait trouvé qu'il lui fallut  vivre 3 224 341 ans et trois mois avant d’avoir une chance d’être enlevé par sa froide amoureuse. Or la constance a des limites que le nombre précédent dépasse très certainement de beaucoup. Aussi, monsieur 44 prit-il la brusque résolution de cesser d’aimer Mademoiselle la 27. Mais, Ô ironie des choses!!!   Par suite d’une réaction dont aucune formule chimique ne pourrait donner l’explication, le petit cœur de Mademoiselle 27, ce petit cœur qu’elle croyait insensible parce qu’il n’avait jamais battu pour personne, ce petit cœur se mit à battre à coups précipités, et Mademoiselle 27, affolée à la constatation de son premier amour, se précipita sur son téléphone pour obtenir la communication avec Monsieur, ext 3553, et lui accorder sa main. Mais il était trop tard. Monsieur 44, épuisé par la souffrance, eut à peine la force de lui répondre par un dernier adieu avant d’expirer.

 

note : le dernier épisode de ce drame s’est déroulé le 16 janvier 1912, à 8h du matin.

Déclaration de Guerre

Ce texte décrit, sous forme d'un calendrier de guerre, une semaine dans les relations de Jules Poivert, résidant au 85 St-Denis, et d'Élizabeth Le Boutillier qui habite avec sa mère au 1261 St-Hubert.  La semaine commence le 23 janvier, donc une semaine après le soit-disant drame mentionné à la fin du texte précédent.  Nous n'avons pas réussi à identifier les alliés de l'Est 4191 ni du Westmount 2250, malgré des recherches par adresses dans les annuaires Lovell de 1912-13.  L'avenue Wood réfère à la résidence de J.O. Marchand et de sa femme, Éva Le Boutillier.

Déclaration de guerre

Entre le 1261 Saint-Hubert et le 85 Saint-Denis-

Dépêche de notre envoyé spécial

 

mardi 23 janvier.

Ce soir, vers cinq heures, après une discussion orageuse, l’ambassade du 1261 Saint-Hubert à brusquement rompu les pourparlers avec l’ambassade du 85 Saint-Denis. C’est une déclaration de guerre

 

Un ordre de mobilisation des troupes a immédiatement été affiché. Les armées semblent devoir être à peu près d'égale force, mais si le 1261 Saint-Hubert compte plus spécialement sur son armée de terre, le 85 Saint-Denis met tout son espoir dans sa flottille de bateaux depuis longtemps préparée en vue d’une éventualité possible.

 

Restent les nations voisines dont l’alliance peut à un moment donné devenir très précieuse. Quelques-unes d’entre elles telles que la J. O. M. ne manqueront certainement pas d’invoquer leur neutralité, mais deux grandes puissances pourront intervenir dans la conflagration. Ce sont d’une part la Westmount 2250, et d’autre part, l'Est 4191, toutes deux également intéressées au maintien de la paix et du bon ordre.

 

mercredi 24 janvier.

Une tentative de conciliation vient d’être tentée par le 85 Saint-Denis. Il a convoqué le 1261 Saint-Hubert devant le tribunal international du Gigot aux haricots, mais devant le refus catégorique du 1261 d’accepter une médiation quelconque, il s’est décidé à frapper un grand coup en gagnant, coûte que coûte, l’alliance du 4191 Est.  De son côté, le 1261 Saint-Hubert vient de dépêcher ses plus fins diplomates du côté du Westmount 2250.

 

jeudi 25 janvier.

Le 85 Saint-Denis vient d’ouvrir les hostilités. À 20h15 il tentait l’assaut du 1261 Saint-Hubert, s'emparait de la principale redoute, l’enlevait en tramway jusqu’au théâtre Majesty et là devant une assemblée de plus de 1000 personnes, la forçait à subir le supplice du Chemineau. Mais vers minuit le 1261 Saint-Hubert rallie ses troupes, et prenait à son tour l'offensive en forçant le 85 Saint-Denis à absorber un pâté aux huîtres qui anéantirait en partie les forces. Puis, par un froid de - 20° le chassait depuis l’avenue Wood jusqu’au carré Viger. On estime dans certains milieux que le 85 Saint-Denis est complètement épuisé

 

samedi 27 janvier.

Deuxième attaque du 85 Saint-Denis. Renouvelant sa tactique de jeudi, le 85 force une seconde fois le 1261 à subir le supplice du concert Majesty. La riposte du 1261 moins vive que la première fois n’a occasionné aucune perte sérieuse aux troupes du 85 Saint-Denis.

Les adversaires semblent fatigués par ces premiers combats.

 

lundi 29 janvier.

Le 1261 vient à son tour de prendre l'offensive. Vers 20h15 il a réussi à attirer le 85 Saint-Denis jusqu’au milieu de ses lignes, sans s’inquiéter de la pluie de fleurs et de bonbons que le 85 faisait tomber autour de lui. Puis dans une attaque hardie, après une première tentative pour l’engager à fumer une cigarette empoisonnée, il l'a contraint de commencer le culottage d’une énorme pipe neuve.

Le 85 Saint-Denis complètement écœuré s’est retiré dans ses retranchements vers 23h.

 

mardi 30 janvier.

Dans une déclaration énergique, le 85 Saint-Denis prouve au 1261 Saint-Hubert que tout n’est qu’imparfait du subjonctif dans sa conduite. Il termine en le menaçant d’éteindre les feux du phare qui éclaire son temple. Si cette menace était suivie d’exécution, ce serait la ruine du 1261.

 

Mardi 30 janvier

Le 85 Saint-Denis demande des secours au 4191 Est. Il apparaît que le 1261 a violé les lois de la guerre en se servant d’engins prohibés. La pipe dont il fait usage aurait été préalablement truquée par l’épicier du coin. On a retrouvé sur le fourneau les traces de gravure d’un E d’un J entrelacés  et au-dessous le dessin d’un cœur percé d’une flèche. Le 4191 Est immédiatement informé de ce fait aurait déclaré qu’il prenait fait et cause pour le 85 Saint-Denis.

 

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Mercredi 31 janvier

Dès 9h du matin le 85 Saint-Denis tente l’attaque du 1261 Saint-Hubert, mais son adversaire se dérobe. Habilement dissimulé dans la maison de Montréal, il échappe à la poursuite du 85 Saint-Denis, lui fait donner de fausses indications sur la position de ses troupes par une Anglaise au service auprès de son allié Westmount 2250.

 

Ce n’est que vers 6h15 que les avant-postes du 85 ont pu retrouver ceux du 1261 Saint-Hubert mais tout s’est réduit à une simple escarmouche.

 

Dernière heure. On nous assure que le 1261 Saint-Hubert a demandé des secours à une puissance de Québec et qu’il recevra des renforts dans les derniers jours de cette semaine. Si cette nouvelle est confirmée c’est la déroute définitive du 85 Saint-Denis qui préparait une attaque pour vendredi soir.

 

Nous tiendrons nos lecteurs au courant des événements nouveaux qui ne peuvent manquer de se produire aujourd’hui ou demain

JP

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Mononcle Jules et Tante Lisa à Trois-Pistoles fin des années 40 début des années 50

La guerre entre le 1261 et le 85 
Reprise des hostilités
(le titre est de Jules Poivert)

Si on se fie aux dates de JP, nous sommes passés de janvier 1912 à mai 1913, donc plus d'une année sépare ce texte du précédent.  Décidément, Jules Poivert avait de la suite dans les idées.

 

Jeudi 1er mai

Dans un pamphlet satirique paru le 1er mai au matin, le 85 Saint-Denis critique l’attitude équivoque du 1261 Saint-Hubert. Au début des négociations entre les deux puissances, c’est-à-dire dans les premiers jours de janvier, le 1261 avait fait espérer au 85 Saint-Denis une alliance éternelle, faite de félicités et de bonheur. Puis, subitement, changement d’attitude : conversations aigres-douces par téléphone, négation des promesses sacrées, et enfin rupture définitive. Ce pamphlet, présenté sous forme de chansonnette comique a obtenu le plus vif succès.

 

Dès le matin du 1er février, un soleil radieux éclaire le champ de bataille. Les troupes étant bien reposées, la lutte sera chaude. La rencontre des armées a lieu à 4h de l'après-midi dans la boutique à 15 sous du boulevard Saint-Laurent. Pour troubler son adversaire, le 1261 Saint-Hubert a changé la couleur de ses étendards et la coiffure de ses guerriers. Impossible de reconnaître le soldat de la veille, sous ses bandeaux à la française, encadrant gracieusement un visage spirituel et délicat. Le grand bonnet de poils a été remplacé par une coiffure plus légère, flanquée de plumes blanches de l’effet le plus harmonieux

 

Suivant son habitude, le 85 Saint-Denis prend l’offensive, en accablant le 1261 Saint-Hubert sous une pluie de bonbons. Le 1261 fléchit sous cette attaque. Il abandonne immédiatement un rouleau de papiers renfermant des plans stratégiques de la plus haute importance, plans destinés à son alliée la Westmount 2250.

 

Le 1261 Saint-Hubert tente vainement de faire geler les oreilles du 85 Saint-Denis mal protégées par la trop rare chevelure de ses guerriers, tout en fuyant avec rapidité pour gagner les remparts de l’avenue Wood, mais le 85 Saint-Denis ne perd pas un seul pouce de terrain.

 

Après un repos des deux armées dans le vestibule du théâtre de la rue Guy (repos qui permet aux 85 Saint-Denis de renouveler en partie ses provisions de guerre) la poursuite reprend, acharnée mais en tramway cette fois. Elle se termine enfin au 472 de l’avenue Wood, et les chefs décident, d’un commun accord de faire prendre un nouveau repos à leurs troupes.

 

Une entrevue entre les deux souverains a lieu dans le camp des Marchands,. Le 1261 Saint-Hubert cherche à éblouir le 85 Saint-Denis par le spectacle des richesses accumulées dans ce camp retranché (robes de bal, peignoirs de dentelle, etc. etc.)

À 5h30 les souverains se séparent pour aller assister au ravitaillement de leurs troupes.

 

À bientôt de nouveaux détails

JP

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Badinage au subjonctif

Le titre est de l'auteur du site

Mademoiselle

 

 Pourquoi donc a-t-il fallu que je m’enthousiasme à la vue de vos charmes. Vous m’étonnâtes d’abord par votre esprit puis me conquîtes par votre grâce. Vous me plûtes, me séduisîtes, m’égarâtes.  J’eusse aimé vous voir partager cet amour qui me transportait au-delà des réalités objectives, mais hélas! Vous prîtes plaisir à ma souffrance.

 

Que ne donnerais-je pas pour que vous vous enthousiasmassiez  à votre tour, que vous rêvassiez de moi de temps à autre, que vous pleurassiez à la vue de ma douleur, puis que vous vous prissiez à m’aimer et enfin que vous acceptassiez de porter avec moi la lourde chaîne de l’existence.

 

Qu’eût-il fallu pour vous séduire?

Que je conquisse la fortune? 

Que j’enchaînasse la gloire?

 

Pourquoi ne me l’avoir pas dit alors

Ou que je souffrisse en silence, au lieu de vous importuner par mes protestations d’amour.

 

O! Quel temple mystérieux que le cœur d’une jeune fille - temple d’amour éclairé par un phare dont je voudrais être le gardien, si, une fois encore je m’avisais de changer de carrière.

 

Finis, les rêves.  Mon cœur ramolli comme une vieille éponge, ne battra plus jamais.  Que m’importe l’existence maintenant.  Et cependant il faut vivre pour ses parents, pour ses élèves, pour la gloire du Canada.

Comptines

De même que les piecettes de théâtre, les petits contes de Jules Poivert mettent souvent en scène une Élisa qui se laisse difficilement séduire.

Le Parapluie   
(le titre est de l'auteur du site)

Mademoiselle Lisa

 

 Il était, autrefois, une petite femme, douce, gentille, bien élevée, mais dont le parapluie usé, troué, lamentable, méritait la pitié des passants.

 

Un soir d’hiver, cette aimable personne remontait la rue Saint-Denis, avec, sous le bras droit, un immense bas-relief de Donatello, dont elle était fort embarrassée. De sa main gauche, elle tenait le vénérable pépin dont il est question plus haut. et, tous trois, aimable enfant, bas-relief et parapluie affrontaient les bourrasques de neige qui, sans pitié pour la jeune fille, sans considération pour Donatello, sans égard pour l’âge du pépin, faisaient rage autour d’eux.

 

Tout à coup, au moment où la jeune fille, désespérée, leva les yeux au ciel pour implorer son secours, un garçon s’avança vers elle : « je suis, dit-il, celui que vous attendez, vous imploriez le ciel, c’est le ciel qui m’envoie. Vous êtes faible et je suis fort ; votre parapluie est usé, le mien est tout neuf. Échangeons d’abord nos parapluies, puis donnez-moi ce Donatello, qui, comme moi, fut un grand artiste, et marchez à mes côtés, sous ma protection.

 

La chère enfant, toute heureuse, accepta la proposition de ce bon ami. Je vois, pensa-t-elle que les hommes peuvent être bon à quelque chose. J’ai longtemps médit contre eux, mais le ciel, enfin, vient de m’ouvrir les yeux. Les hommes ont du bon et peuvent nous être utiles, mais il faut que nous leur accordions notre confiance, que nous sachions les aimer. 

 

Votre très respectueux ami 

Jules Poivert

Certain soir, comme nous revenions du théâtre en voiture, un coup de vent enlevait mon chapeau. Nous nous précipitions, le cocher d’un côté, moi de l’autre pour le rattraper. Pendant ce temps, le cheval, ne se sentant plus dirigé, commençait à s’emballer, lorsque Mademoiselle Lisa, avec un sang-froid héroïque, se précipitait sur les guides et parvenait à le maîtriser. Depuis ce jour j’ai la plus haute estime pour le courage de Mademoiselle Elisa et, la nuit, lorsque terrorisé par la peur j’invoque le secours d’une puissance étrangère, je songe qu’il serait agréable d’avoir pour me protéger contre les apaches parisiens, le concours d’une personne aussi résolue.

Verso

Recto

Rêve angélique    (le titre est de l'auteur du site)

Mademoiselle Lisa

J’ai fait, cette nuit, un bien beau rêve. Un ange m’est apparu, qui m’a dit « heureux veinard! vous êtes aimé par une charmante jeune fille, née dans un pays aride situé sur les côtes de l’océan, en l’an 1882 ou 1883, je ne sais au juste car à cette époque j’étais en mission dans un autre monde. Elle a de beaux yeux bleus qui deviennent tout petits tout petits quand elle a bu des boissons spiritueuses, ce qui lui arrive rarement. Elle est brune avec un petit nez relevé. Elle se coiffe parfois avec des bandeaux à la vierge lorsqu’elle veut séduire quelques Français, mais cette coiffure la vieillit un peu. En vérité, je vous le dis, vous avez de belles heures devant vous si vous parvenez à gagner sa confiance, ce qui ne sera pas facile. Au revoir mon vieux. »Et l’ange a disparu.

Verso

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Recto

Rimes autodérisoires 

(ou comment se lancer des fleurs sans que ça paraisse)

Autrefois, garçon distrait,

Chercheur d’un problème abstrait,

Il m’arrivait, fort souvent

De partir, en coup de vent

Oubliant, quelle ironie!

De prendre mon parapluie.

Ou ma montre, mon chapeau, mes gants, mon mouchoir, ma pochette de compas… 

Mais quoi?

Le temps a marché, ma foi.

Et maintenant, homme sage

Je n’oublie plus que… mon âge

Verso

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Recto

Ragoût, sauce et téléphone

La plupart des cartes postales et des lettres que Jules Poivert envoie à Éliza Le Boutillier ont été écrites en France ou sur un paquebot à destination du Havre.  À Montréal, Jules préfère le téléphone comme moyen de communication et ne s'en prive pas, ce qui, selon ses dires, pouvait parfois irriter Liza, comme en témoigne le texte ci-dessous.  Ici encore, l'architecte exerce son humour subtil pour passer son message.   

Mademoiselle Lisa 

 

Vous m’avez dit tantôt que, par mes appels au téléphone, je faisais brûler vos rôtis et tourner vos ragoûts.  Cela tient, je pense, à la disposition vicieuse des différentes pièces de votre logement, construit par un architecte sans diplôme. La cuisinière, placée trop loin de la cabine téléphonique (au lieu d’être en communication directe avec elle)  nécessite un dérangement préjudiciable à la bonne réussite des plats fins que vous aimez à préparer (je n’en ai jamais senti le fumet).

 

Au lieu de récriminer contre un malheureux professeur d’Architecture, (qui passe sa vie à conseiller à ces jeunes élèves d’éviter les belles fautes de composition) vous auriez été plus avisée, Mademoiselle, en le convoquant chez vous pour lui demander quel est, à son avis, le remède à apporter à un pareil état des choses.

Par quelques invitations à dîner, vous auriez, d’abord gagné sa confiance, puis, au cours des repas, par des conversations savamment dirigées, vous auriez réussi, sans doute, à lui faire livrer ses secrets en ce qui concerne la bonne disposition des services d’une habitation privée.

 

Car, à l’aide de quels autres moyens pensez-vous éviter, à l’avenir, le retour de faits aussi regrettables.  Vous savez bien, Mademoiselle Elisa, qu'il serait plus facile à un Marseillais de rester huit jours sans parler de la Canebière, qu’à un amoureux de rester une demi-journée sans téléphoner à sa blonde. Et puis, Mademoiselle, lorsqu’on s’est offert le luxe de chavirer le cœur d’un vieux garçon au point de le rendre plus stupide qu’un amoureux de 18 ans, il n’est plus temps de faire appel à sa raison, surtout pour une vulgaire question de sauce

 

Un moyen infaillible, à mon avis, serait chaque fois qu’une sauce est manquée, de l’inviter à partager votre repas. Au bout d’un peu de temps vous le guéririez complètement de la maladie du téléphone.

 

Croyez Mademoiselle Elisa à ma profonde et respectueuse amitié

Jules Poivert

 

Note: je tâcherai malgré tout de téléphoner moins souvent, car pour rien au monde je ne voudrais vous déplaire, Mademoiselle.

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